Rouge céladon

appel aux plumes !

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Nouveauté !

Texte inspiré par le carnet Kupu kupu

« La nuit est tombée. Julia se gare et se dirige avec hâte vers une porte d’entrée faite du bois de la forêt qui l’entoure. Elle a dû faire une halte bien malgré elle. Sa voiture est victime d’une toux foudroyante et annonce un grave problème de moteur.

Elle sonne. Une femme d’une soixantaine d’années, à la chevelure soignée poivre et sel, apparait. Une élégance naturelle et une douceur émanent de son visage qui la met tout de suite à l’aise. Après avoir expliqué la panne, la femme au regard bienveillant la reçoit dans sa maison. Des flammes dansent dans la cheminée et la lumière tamisée éclaire la table à manger. Un homme assis au bout avale sa bouchée de pain et de fromage et lui sourit affectueusement. Isabelle et Claude est le couple propriétaire du domaine.

« Enchantée et merci pour votre hospitalité ! » Ils l'invitent à partager le diner. C’est avec une étonnante confiance qu’elle narre ses péripéties et engloutit le repas avec gourmandise. Touchés par les aventures de Julia, ils lui offrent l’hospitalité. Elle n’imaginait pas ça. Elle va pouvoir se remettre sur pied, se poser pour réfléchir et trouver une solution au problème technique de son véhicule.

« Rien n’arrive par hasard, la vie peut prendre une tournure complètement inattendue et à tout instant » se dit-elle allongée dans le grand lit douillet de cette chambre spacieuse. Mes hôtes ont du goût, on se croirait dans une pub pour un magazine de déco d’intérieur ! Un cadre intime, c’est idéal pour une mise à jour de ma vie… »

Elle participe avec enthousiasme aux travaux et aux tâches ménagères. Julia découvre les joies de la ferme auprès des biquettes et apprend même à faire du fromage. Isolée de sa propre famille, au milieu des montagnes, loin de tout, elle se sent pourtant si vivante et plus que jamais, dans ce havre de paix.
Un samedi matin, de retour de chez l’unique épicier du coin, elle dépose son vélo derrière la maison et entre dans la cuisine où Isabelle prépare le déjeuner aux odeurs envoûtantes :

«— Merci Julia, dit-elle en s’emparant des courses, aujourd’hui est un jour spécial, car nous avons un invité plus que spécial !
— Vraiment ? Ceci explique cette belle robe qui te va à merveille ! Le maire vient manger à la maison ?
— Mieux que ça, ma chère ! C’est mon Nael qui est revenu de son périple d’un an en Mongolie et au Kazakhstan. Il est arrivé cette nuit ! Il est si imprévisible mon grand garçon !
— Je ne savais pas que vous aviez un fils. Je suppose que je dois également sortir mes habits du dimanche pour l’occasion ?
— Bonne idée ! Un beau défi que je te lance même si tu es toujours belle. »

Ces paroles bienveillantes ont l’effet d’un baume au cœur, surtout venant d’une femme qui pourrait être sa mère. Aussitôt dit, aussitôt fait, elle prend une douche rafraîchissante et revêt une robe rouge en lin, mettant en valeur son côté féminin d’habitude mal assumé. Elle maquille avec soin sa bouche sensuelle et pulpeuse d’une couleur rosée, ajoute des créoles en or fin à ses lobes et laisse sa longue crinière détachée. Simple et efficace !

Julia se dirige vers la grande pièce et là, assis de dos dans un des fauteuils positionnés face aux baies vitrées, un homme fume une cigarette roulée, les yeux dans le vide, penseur, voire mélancolique. C’est lui. Nael. Elle ne sait pas quoi ni comment faire… Intimidée ? Elle ? Un « bonjour » hésitant sort de sa bouche, il tourne alors lentement la tête en la fixant de son regard ténébreux :
« — Bonjour », il se lève doucement et lui fait une bise. Un flux électrique circule en elle à son contact. Quelque chose d’étrange se dégage de cet homme. Il l’intrigue déjà, elle est attirée et apeurée à la fois : une ambiguïté jamais ressentie auparavant. Il a l’air discret et réservé, ou plutôt carrément bizarre !

Isabelle arrive et interrompt cet instant avec énergie, si heureuse et comblée de retrouver son fils :
« — Je suis une pile ! Ce genre de moment est si rare dans cette maison. Allez, on profite du soleil pour prendre l’apéro dehors ! J’ai déniché un super champagne pour l’occasion ! Suivez-moi les enfants ! »

Tout au long de cette journée ensoleillée, Julia se sent mal à l’aise par cette nouvelle présence, peu bavarde et provocatrice avec ses postures peu sympathiques : « Il se donne un genre ou il est naturel, bizarre, dérangé, malade ? Ou tout ça à la fois peut-être ? » se demande-t-elle.

Les semaines passent à un détail près : ce mec à l’attitude de sauvage. Il ne la regarde presque pas et les seuls mots qu’il lui adresse sont "bonjour", "merci", "bonne nuit". Quand il ne travaille pas avec eux, il reste dans sa chambre située tout en haut de la maison dans le grenier aménagé, très mystérieux pour Julia. Cela lui fait penser au conte de Barbe Bleue qui cache les cadavres de ses femmes dans une pièce fermée à clé : tout y est teinté de secret, de tentation, de trahison et d’horreur. C’est elle qui devient barge à imaginer des trucs pareils…
Au fond d’elle, cet homme est charmant et chimiquement son genre. Elle ne saurait trancher entre attirance ou dédain. Il l'intrigue : comment percer cette carapace et le démasquer ? Peut-on passer une année à l’autre bout du monde et vivre dans différentes cultures auprès de populations si variées et n’avoir rien à raconter ? Et pourquoi Isabelle et Claude donnent-ils l’air de trouver cela normal ? Elle n’est pas dupe et voit bien les petites pilules qu’il sort quelques fois en catimini d’une boite en métal. « Des vitamines ? Des compléments alimentaires ? Mon œil ouais… » Trop de questions lui brûlent les lèvres, mais elle n’ose pas en parler à ses hôtes. Le mystère reste entier, alors elle enquête. Nael est distant, et Julia l’observe du coin de l’œil tout en faisant semblant d’être aussi indifférente que lui.

Deux mois s’écoulèrent dans cette ambiance étrange.

Un matin d’été, Julia se retrouve seule à la maison. Le couple est parti pour le week-end et Nael s’en est allé pour la journée. Où ? Avec qui ? Mystère comme d’habitude. Après un délicieux petit déjeuner, exposée au soleil sur la terrasse, elle ne se demande pas bien longtemps comment occuper ce jour de solitude. L’occasion est parfaite pour percer un secret, s’aventurer et en savoir plus sur ce type énigmatique.

Elle se lève et par précaution, vérifie les alentours. La voie est libre. Elle grimpe les marches de l’escalier jusqu’à la chambre de Nael qui bien sûr est close. « Merde. Réfléchis... ah oui, les clés accrochées à l’entrée. » Mais aucune ne fonctionne. Elle redescend d’un pas rapide, regarde autour d’elle, fouille les tiroirs, les boites, les placards… rien.

« On dirait une psychopathe… le pire : tu ne respectes pas tes principes en violant l’intimité des autres. » Enfin, elle trouve un trousseau. Elle s’en empare avec vivacité et teste les clés espérant tomber sur le sésame : bonne pioche ! Elle débloque en un bruit sec la serrure, et là, un haut-le-cœur la submerge, elle n’est plus si confiante.
Le doute l’envahit. Est-ce raisonnable ? Mais son désir est plus fort : « OK, j’y vais ! » Très lentement, elle entrouvre la porte donnant sur un espace immense haut de plafond, illuminé par de grandes baies vitrées. Julia avance à pas lents et fait vibrer le vieux parquet.
Elle observe avec fascination l’atelier d’artiste qui se dévoile devant elle : des objets, des feuilles, des dessins, des outils dont elle ignore l’utilité, aménagent la pièce avec anarchie. Il n’y pas de meubles, hormis une ancienne armoire en chêne et un lit spacieux placé en plein centre. Et encore des pots de peinture, des pinceaux, des toiles, de la ferraille, des bouquins empilés les uns sur les autres, des fringues balancées un peu partout et cette odeur de cigarette froide mélangée à celle de l’encens amplifient l’atmosphère chaotique de ce lieu. Julia ne sait pas où poser son regard… elle est captivée, attirée par chaque détail.
Elle se sent bien, sereine et aspirée par une énergie intense qui s’empare de tout son être. À cet instant plus rien ne compte, elle est hypnotisée par toutes ces œuvres. Des illustrations aux motifs psychédéliques et aux couleurs si vives tapissent tout l’espace ! C’est un contraste perturbant par rapport aux dessins au fusain, les nus et les portraits de femmes : « C’est un vrai musée ! » Ses yeux grands ouverts pétillent face à ce spectacle si grandiose. Le temps s’est arrêté, elle vient d’entrer dans un monde parallèle.

Dans un coin, elle aperçoit une table de chevet sur laquelle est posé un tableau. Julia s’en approche. Quelque chose se passe en elle, une sensation, un pressentiment, au point d’en avoir les aisselles humides. Un flux de fraîcheur et de frissons circule dans tout son corps. Ce qu’elle voit est pénétrant. Ce n’est pas une simple peinture sur toile, mais son reflet, celui d’une jeune femme à la chevelure flamboyante et aux yeux gris-bleu, les épaules nues. L’effet miroir est saisissant. Julia est éblouie et émue par cette représentation pure et spontanée, une force s’en dégage. Elle a l’impression de se découvrir pour la première fois après tout ce temps ! Comment a-t-il pu percer son âme en étant si indifférent ?

« C’est moi, tout ce qui en ressort, c’est moi. » La femme est belle. Les larmes coulent lentement sur les joues de Julia, ses membres tremblent. Que se passe-t-il ? C’est comme si toute son existence avait enfin un sens après tant de dénis. Le masque est tombé sans mots à la vue du dessin.

Le charme est interrompu par un grincement. Elle lève les yeux et voit Nael, droit et fier. Elle a peur sous son regard sombre et sa mine sévère. Tétanisée, il est impossible pour Julia de bouger et aucun son ne sort de sa bouche. Un silence profond a envahi l’atelier.

Nael affiche un sourire en coin malsain et, d’un geste franc, il claque la porte derrière lui. Julia est maintenant prise au piège entre ce portrait et cet homme qu’elle désire malgré elle. Julia est enracinée, son cœur palpite, ses membres sont moites. Il est là devant elle et si proche. Le voleur d’âme redonnant vie. Ses mains s’aventurent sur le corps oublié de la jeune femme. Sans aucune résistance et les yeux clos, elle prend conscience de chaque partie caressée. Elle s’abandonne, se relâche à cette sensation de douce liberté.
Tout s’arrête ou tout commence ? »

Lisa


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